Le 5 août 2011, le quotidien polonais Rzeczpospolita a publié une interview écrite du Ministre des Affaires étrangères Yang Jiechi, dont voici le texte intégral (fourni fin juillet) :
Question : Comment voyez-vous l'état actuel des relations entre la Chine et la Pologne ? Quels sont les domaines dans lesquels leur coopération excelle ? Et quels sont ceux dans lesquels elle doit être renforcée ?
Réponse : C'est un grand plaisir pour moi de venir pour la première fois effectuer une visite dans ce beau pays qu'est la Pologne sur l'invitation du Ministre des Affaires étrangères Radoslaw Sikorski. Je voudrais saisir cette occasion pour exprimer mes meilleurs vœux au peuple polonais. Le peuple chinois ne saura pas oublier que la Pologne a été l'un des premiers pays à reconnaître la Chine nouvelle et à établir des relations diplomatiques avec elle. Depuis 62 ans, son amitié traditionnelle avec le peuple polonais n'a jamais changé malgré les aléas sur la scène internationale.
Le Président Hu Jintao a effectué une visite en Pologne en 2004. Les deux pays ont établi à cette occasion un partenariat amical. Depuis, leur coopération mutuellement avantageuse n'a cessé d'obtenir de nouveaux progrès dans différents domaines. La connaissance et la confiance mutuelles entre les deux parties se sont accrues de façon continue grâce à la poursuite des échanges de haut niveau qui sont très étroits. Forte d'un volume commercial qui a augmenté de 23,8% en glissement annuel pour atteindre 11,14 milliards de dollars US en 2010, la Pologne continue à être le plus grand partenaire commercial de la Chine en Europe centrale et en Europe de l'Est. Elle a marqué une présence réussie à l'Expo Shanghai 2010 avec un pavillon national qui a attiré plus de huit millions de visiteurs. Elle a également organisé avec succès des célébrations en Chine pour le bicentenaire de la naissance de Frédéric Chopin. De son côté, la Chine a ouvert quatre instituts Confucius en Pologne. Par ailleurs, 19 jumelages ont été établis entre des villes et provinces chinoises et polonaises, et leur coopération substantielle s'est avérée fructueuse.
La Chine attache une grande importance au développement de ses relations avec la Pologne et entend travailler ensemble avec celle-ci pour élargir et approfondir davantage leur coopération mutuellement avantageuse dans tous les domaines et faire progresser sans cesse le partenariat amical sino-polonais. Premièrement, il convient de poursuivre dans tous les milieux et à tous les échelons les échanges de personnes, tels que les échanges de haut niveau de même que ceux entre gouvernements, partis politiques et organes législatifs, afin d'approfondir la confiance mutuelle. Deuxièmement, il importe d'élargir les relations économiques et commerciales. La Chine encourage les entreprises chinoises à importer plus de produits polonais et souhaite un élargissement des investissements croisés afin de réaliser les avantages réciproques et le gagnant-gagnant. Nous entendons nous inspirer des technologies avancées et des expériences réussies de la Pologne dans les domaines de la protection de l'environnement, de l'exploitation du charbon et des nouvelles énergies. Et nous soutenons la participation des entreprises chinoises performantes au développement économique de la Pologne. Troisièmement, il faut élargir les échanges et la coopération dans les domaines culturel, éducatif et touristique afin d'accroître la connaissance mutuelle entre les deux peuples. Quatrièmement, il convient de renforcer les consultations et coordinations dans les enceintes multilatérales telles que l'ONU et dans les affaires internationales et régionales pour œuvrer ensemble à la paix, à la coopération et au développement dans le monde.
Question : Comment voyez-vous les relations sino-européennes ? Qu'attend la Chine de la présidence polonaise de l'Union européenne?
Réponse : Aujourd'hui, l'Union européenne (UE) est une force importante sur la scène internationale. La Chine soutient depuis toujours l'intégration européenne et travaille activement au développement du partenariat stratégique global sino-européen. Dans le contexte actuel marqué par un réajustement profond de la situation internationale, une relation sino-européenne régulière et saine profite non seulement au développement de la Chine et de l'Europe, mais aussi à la paix, à la stabilité et à la prospérité du monde entier.
Depuis le début de cette année, la relation sino-européenne a affiché un grand dynamisme. Les fréquents échanges de haut niveau, et surtout les mesures actives prises par le gouvernement chinois pour aider l'UE à affronter la crise de la dette souveraine, ont permis d'approfondir la connaissance et la confiance mutuelles entre les deux parties et de promouvoir la coopération pragmatique entre la Chine et les pays concernés. Pendant le premier semestre de l'année, le volume du commerce sino-européen a enregistré une augmentation continue pour atteindre 265,89 milliards de dollars US. L'exportation de l'UE vers la Chine s'est accrue beaucoup plus vite que celle de la Chine vers l'UE. L'Année de la Jeunesse Chine-UE a été un succès éclatant, montrant une plus forte volonté des peuples chinois et européens de renforcer leur connaissance mutuelle.
Dans l'ensemble, la relation sino-européenne a devant elle de belles opportunités de développement, car l'idée dominante en Europe est celle de coopérer activement avec la Chine. Pourtant, il existe aussi des divergences et des contradictions dues en grande partie à une connaissance mutuelle insuffisante. La clé pour les résoudre est de développer un dialogue sincère dans l'esprit du respect mutuel et de l'égalité, de tenir compte des préoccupations de part et d'autre, de rechercher des solutions adéquates à travers les consultations, et d'accroître sans cesse la connaissance et la confiance mutuelles dans le dialogue et la coopération.
La Chine exprime ses félicitations pour la présidence polonaise de l'UE et souhaite que la Pologne enregistre un grand succès dans ses efforts pour promouvoir une croissance rapide de l'économie européenne et élever le niveau de la coopération politique au sein de l'UE. La Chine attache une grande importance à la place et au rôle de la Pologne au sein de l'UE et entend œuvrer ensemble avec elle pour promouvoir un développement meilleur et plus fructueux de la relation sino-européenne.
Question: Dans quelle mesure pèsent les turbulences de la zone euro et la crise de la dette américaine sur la Chine? La Chine envisage-t-elle des mesures d'intervention ou un réajustement de sa politique budgétaire?
Réponse: L'économie mondiale connaît une reprise progressive, mais la situation demeure complexe et remplie d'incertitudes. La poursuite de la dette souveraine en Europe, le risque croissant du défaut de paiement des Etats-Unis, les bouleversements au Moyen-Orient et le grand séisme au Japon posent de graves défis à la reprise économique mondiale. Les pays du monde doivent renforcer leur concertation et leur coordination pour faire avancer la réforme du système financier international, améliorer la gouvernance économique mondiale, combattre fermement le protectionnisme sous toutes ses formes et contribuer à une croissance forte, durable et équilibrée de l'économie mondiale.
La Chine porte une grande attention à la question de la dette souveraine en Europe et soutient les mesures actives prises par l'UE et le FMI pour stabiliser la situation et retrouver le développement, convaincue que l'Europe surmontera les difficultés qui ne sont que passagères et maintiendra une croissance régulière de son économie. Nous saluons les nouvelles mesures prises par l'UE lors d'un récent sommet extraordinaire pour résoudre le problème de la dette. En tant qu'investisseur responsable sur le marché financier international, la Chine est toujours confiante dans la zone euro et dans la monnaie unique. Tout comme elle a augmenté ces dernières années ses avoirs en obligations européennes, elle continuera à soutenir l'Europe et l'euro.
La conjoncture de l'économie américaine a un grand impact sur l'économie mondiale. La stabilité du dollar américain, principale monnaie de réserve du monde d'aujourd'hui, est très importante pour la situation économique et financière mondiale. Partenaire économique et commercial important des Etats-Unis, la Chine souhaite voir le succès des différentes mesures prises par l'administration américaine et une reprise durable et soutenue de l'économie américaine. Nous espérons que les Etats-Unis, partant de l'intérêt général que représente le maintien de la reprise et du développement stable de l'économie mondiale, appliqueront une politique monétaire responsable, et qu'ils prendront dans le même temps des mesures effectives pour garantir la sécurité des avoirs des autres pays aux Etats-Unis.
La Chine, grand pays en développement, continuera à renforcer et à améliorer son contrôle macro-économique, à accélérer la transformation de son mode de développpement économique, à maintenir le développement équilibré et sain de son économie, à poursuivre la stratégie d'ouverture mutullement bénéfique et à intensifier la coordination politique et la coopération pragmatique avec le reste du monde, afin de contribuer à une reprise globale de l'économie mondiale.
Question: Pourquoi le gouvernement chinois s'oppose-t-il à ce que le Dalaï Lama effectue des visites dans des pays étrangers? Pourquoi n'y a-t-il pas de progrès dans les contacts et les négociations avec lui?
Réponse: Le Dalaï Lama n'est pas une simple personnalité religieuse, mais un exilé politique menant depuis des années des activités secessionnistes sous le couvert de la religion. Sa vraie intention est de créer un « grand Tibet » qui n'a jamais existé dans l'histoire et qui représente près d'un quart du territoire chinois, et de réaliser, au fond, l'«indépendance» ou l'«indépendance déguisée» du Tibet. Le «gouvernement tibétain en exil» qu'il conduit est une organisation illégale créée par un petit nombre de secessionnsites qui se sont enfuis de la Chine après l'échec de leur rébellion en 1959. En totale violation de la loi chinoise, il n'est reconnu par aucun pays dans le monde. Bien que le Dalaï Lama ait annoncé récemment sa «retraite politique», il continue à aller partout dans le monde prôner l'«indépendance du Tibet» et nuire aux relations entre la Chine et les pays ayant des relations diplomatiques avec elle.
Notre politique à l'égard du Dalaï Lama est constante et claire. La porte de contact et de négociation entre le gouvernement central et lui reste toujours ouverte. Depuis 2002, le gouvernement central a accueilli à dix reprises le représentant personnel du Dalaï Lama, montrant au maximum sa sincérité et sa bonne volonté. En revanche, le Dalaï Lama a déclaré ouvertement que l'illégal «gouvernement tibétain en exil» était le représentant des habitants tibétains et est allé jusqu'à annoncer en novembre 2008 l'interruption des contacts et des négociations avec le gouvernement central. Si le Dalaï Lama souhaite vraiment que ces contacts et négociations progressent, il doit renoncer totalement à ses prétentions et arrêter toute activité secessionniste afin de gagner par des actions concrètes la confiance du gouvernement central et du peuple chinois.